Découverte Houzz : Alex de Rouvray, designer en quête de perfection
« Je rêve d’une chaise longue ultime. »
Il n’a pas le CV classique des designers « made in France ». Sa trajectoire, marquée par une succession de choix forts, n’en dégage que plus d’épaisseur. Plutôt destiné à une carrière d’ingénieur, Alex de Rouvray a choisi le design mobilier. La faute à un professeur rencontré sur les bancs de l’université américaine de Stanford, qui l’a encouragé à croire en son potentiel créatif. Une incarnation du fameux « Yes, we can ». Il aurait pu tenter sa chance aux États-Unis (sa mère est Américaine), mais il a choisi la France, trop attaché au mode de vie du pays aux mille fromages. Ce jeune papa de 37 ans, installé à Paris, s’est d’abord lancé dans le design industriel. Lassé de projets dans lesquels il ne se retrouvait plus, il s’oriente vers le design mobilier et retrouve sa liberté. Il cite comme influence Jonathan Ive (qu’il a rencontré), Pierre Chareau, Le Corbusier, Jean-Michel Frank, l’inventeur du terme « luxe pauvre ». Des grands noms avec lesquels il partage cette quête du produit parfait. Il nous raconte ces jours qui ont compté dans son parcours.
Le jour où… vous avez eu envie de partir aux États-Unis
C’est venu naturellement. Mes deux parents ont étudié aux États-Unis et se sont rencontrés là-bas. J’avais un peu ce mythe en tête. Mes deux sœurs sont également parties faire leurs études universitaires en Californie. J’ai eu cette envie de partir pendant mes études.
C’est venu naturellement. Mes deux parents ont étudié aux États-Unis et se sont rencontrés là-bas. J’avais un peu ce mythe en tête. Mes deux sœurs sont également parties faire leurs études universitaires en Californie. J’ai eu cette envie de partir pendant mes études.
Le jour où… vous avez décroché votre premier job
Comme tout le monde, j’ai commencé par des stages. Dans l’univers du design, on commence tout en bas. J’ai donc travaillé pendant neuf mois dans une agence appelée Absolut Reality [devenue BETC Design Group, NDLR]. Cela m’a donné mon premier point de vue sur le fonctionnement d’une agence de design. Une expérience très intéressante, mais difficile.
J’avais une vision de la façon de travailler façonnée par ce que j’avais appris aux États-Unis. Là-bas, on insistait énormément sur le fait de travailler en groupe pour être créatif. Quand on est plusieurs, on peut générer beaucoup d’idées ensemble. Dans cette agence, chacun travaillait de son côté. Les impératifs économiques prenaient le pas sur l’objectif de créer un produit parfait. J’avais trouvé ça assez triste.
Comme tout le monde, j’ai commencé par des stages. Dans l’univers du design, on commence tout en bas. J’ai donc travaillé pendant neuf mois dans une agence appelée Absolut Reality [devenue BETC Design Group, NDLR]. Cela m’a donné mon premier point de vue sur le fonctionnement d’une agence de design. Une expérience très intéressante, mais difficile.
J’avais une vision de la façon de travailler façonnée par ce que j’avais appris aux États-Unis. Là-bas, on insistait énormément sur le fait de travailler en groupe pour être créatif. Quand on est plusieurs, on peut générer beaucoup d’idées ensemble. Dans cette agence, chacun travaillait de son côté. Les impératifs économiques prenaient le pas sur l’objectif de créer un produit parfait. J’avais trouvé ça assez triste.
Table Vaneau
Le jour où… vous avez développé votre premier projet
À la sortie de l’université, j’ai lancé mon projet de diplôme. Il s’agissait d’un porte-CD. Je l’ai tout de suite breveté. Il y avait un positionnement un peu innovant à l’époque, à savoir s’intéresser aux CD sans leurs boîtiers. Au début, je l’avais appelé le « purgatoire à CD ». J’ai trouvé après un terme un peu plus marketing : le « disc hub ». J’avais constaté dans les chambres d’étudiants des piles de CD. Et les gens ne prenaient jamais le temps de les ranger dans des boîtes.
J’en ai vendu plusieurs dizaines de milliers, principalement aux États-Unis. Beaucoup de blogs ont fait un article dessus. Il a fallu s’accrocher, il y a eu beaucoup de péripéties. Au début, j’ai voulu produire au Liban, puis je me suis orienté vers la France, et finalement, j’ai opté pour la Chine. J’avais 22 ans et je devais gérer les contraintes d’une chaîne de production. Au début, j’ai essayé de proposer le produit à certaines marques, et puis très vite, j’ai eu envie de commercialiser moi-même. À la fin, on a cédé la licence à une grosse entreprise américaine.
À la sortie de l’université, j’ai lancé mon projet de diplôme. Il s’agissait d’un porte-CD. Je l’ai tout de suite breveté. Il y avait un positionnement un peu innovant à l’époque, à savoir s’intéresser aux CD sans leurs boîtiers. Au début, je l’avais appelé le « purgatoire à CD ». J’ai trouvé après un terme un peu plus marketing : le « disc hub ». J’avais constaté dans les chambres d’étudiants des piles de CD. Et les gens ne prenaient jamais le temps de les ranger dans des boîtes.
J’en ai vendu plusieurs dizaines de milliers, principalement aux États-Unis. Beaucoup de blogs ont fait un article dessus. Il a fallu s’accrocher, il y a eu beaucoup de péripéties. Au début, j’ai voulu produire au Liban, puis je me suis orienté vers la France, et finalement, j’ai opté pour la Chine. J’avais 22 ans et je devais gérer les contraintes d’une chaîne de production. Au début, j’ai essayé de proposer le produit à certaines marques, et puis très vite, j’ai eu envie de commercialiser moi-même. À la fin, on a cédé la licence à une grosse entreprise américaine.
Le jour où… vous avez rencontré quelqu’un d’important dans votre parcours
Le jour où j’ai rencontré Jonathan Ive, le designer d’Apple. Par des amis communs, j’ai pu avoir un entretien personnel avec lui. J’ai visité son labo de création à Cupertino, en Californie. Il a balayé l’une des grandes idées que j’avais de l’université. Nos professeurs insistaient énormément sur le travail en groupe. Ive disait qu’ils étaient très forts pour le marketing, qu’ils savaient très bien parler de leur travail, mais que ce qu’ils faisaient n’était pas terrible. Il a changé mon point de vue et m’a fait revaloriser l’approche individuelle. Il est par exemple possible d’être davantage perfectionniste quand on est seul, quand on a une vision un peu plus dictatoriale du processus de création, que quand on travaille en équipe.
Une autre chose très importante sur laquelle il insistait, c’est l’importance de maîtriser l’ingénierie. Vraiment comprendre toutes les contraintes techniques du produit. Sinon on fait du design en l’air. Il dessine ses produits en permanence en comprenant la façon dont ils vont être faits. L’entretien a duré une demi-heure. On était dans son espace de création, un endroit très sécurisé, où même la plupart des employés n’ont pas le droit de rentrer. Il y avait des grands draps sur les tables pour masquer les projets sur lesquels il travaillait à ce moment-là.
Le jour où j’ai rencontré Jonathan Ive, le designer d’Apple. Par des amis communs, j’ai pu avoir un entretien personnel avec lui. J’ai visité son labo de création à Cupertino, en Californie. Il a balayé l’une des grandes idées que j’avais de l’université. Nos professeurs insistaient énormément sur le travail en groupe. Ive disait qu’ils étaient très forts pour le marketing, qu’ils savaient très bien parler de leur travail, mais que ce qu’ils faisaient n’était pas terrible. Il a changé mon point de vue et m’a fait revaloriser l’approche individuelle. Il est par exemple possible d’être davantage perfectionniste quand on est seul, quand on a une vision un peu plus dictatoriale du processus de création, que quand on travaille en équipe.
Une autre chose très importante sur laquelle il insistait, c’est l’importance de maîtriser l’ingénierie. Vraiment comprendre toutes les contraintes techniques du produit. Sinon on fait du design en l’air. Il dessine ses produits en permanence en comprenant la façon dont ils vont être faits. L’entretien a duré une demi-heure. On était dans son espace de création, un endroit très sécurisé, où même la plupart des employés n’ont pas le droit de rentrer. Il y avait des grands draps sur les tables pour masquer les projets sur lesquels il travaillait à ce moment-là.
Le jour où… vous avez décidé de créer votre agence
Je me suis mis à mon compte à mon retour d’un second long séjour aux États-Unis en 2009. J’ai commencé par faire du design industriel pour différents clients pendant deux ans. Suite notamment à une mésaventure avec un client, j’ai décidé de me focaliser sur le mobilier. J’ai arrêté de répondre à des demandes qui m’intéressaient moins. Je propose désormais mes propres produits et j’essaie de les vendre. Je suis revenu à ma stratégie initiale.
Je me suis mis à mon compte à mon retour d’un second long séjour aux États-Unis en 2009. J’ai commencé par faire du design industriel pour différents clients pendant deux ans. Suite notamment à une mésaventure avec un client, j’ai décidé de me focaliser sur le mobilier. J’ai arrêté de répondre à des demandes qui m’intéressaient moins. Je propose désormais mes propres produits et j’essaie de les vendre. Je suis revenu à ma stratégie initiale.
Le jour où… vous avez dessiné votre premier meuble
C’était suite à une demande de mes parents. J’ai fait une partie du mobilier de leur maison de campagne. Je me suis adapté à un certain nombre de matières qui étaient déjà dans la pièce. C’était mon premier projet de design de meubles. J’ai conçu une table basse, un fauteuil et une sorte d’étagère.
C’était suite à une demande de mes parents. J’ai fait une partie du mobilier de leur maison de campagne. Je me suis adapté à un certain nombre de matières qui étaient déjà dans la pièce. C’était mon premier projet de design de meubles. J’ai conçu une table basse, un fauteuil et une sorte d’étagère.
Le jour où… vous avez conçu la série Séverin
Pour la bibliothèque, il s’agissait de répondre à la demande d’un client. Je suis parti d’une constatation : on a souvent des bibliothèques beaucoup plus profondes qu’un poche. Or, la plupart des gens possèdent principalement des livres de ce format, moi le premier. J’ai donc réalisé cette bibliothèque, très compacte, dédiée aux livres petit format. Au niveau de l’influence formelle, je me suis inspiré du travail d’un sculpteur américain, Donald Judd.
Pour la bibliothèque, il s’agissait de répondre à la demande d’un client. Je suis parti d’une constatation : on a souvent des bibliothèques beaucoup plus profondes qu’un poche. Or, la plupart des gens possèdent principalement des livres de ce format, moi le premier. J’ai donc réalisé cette bibliothèque, très compacte, dédiée aux livres petit format. Au niveau de l’influence formelle, je me suis inspiré du travail d’un sculpteur américain, Donald Judd.
Table basse ronde Séverin
La table basse est mon autre projet emblématique. Avec la bibliothèque, ce sont mes deux meubles les plus vendus. Si on met le piétement de la table basse en position verticale, c’est le même que celui de la bibliothèque. Il existe une vraie parenté entre ces deux meubles.
Le bureau est venu après. Ce qui est pratique avec le bureau à tréteaux, notamment avec le verre, c’est de ne pas avoir besoin de perforer le plateau pour le fixer, il suffit de le poser. C’est plus facile également pour le transport et le stockage. Je suis très sensible à ces problématiques. Je viens par ailleurs d’ajouter des tiroirs à ce modèle.
Une visite à la maison de verre, du designer français Pierre Chareau, m’a inspiré la création d’une famille de mobilier. Située rue Saint Guillaume, à Paris, cette maison date des années 30. L’architecture et tout le mobilier intérieur ont été imaginés par un seul et même créateur. Il y a une vraie cohérence d’ensemble. C’est quelque chose qui m’a beaucoup plu : je lui ai trouvé beaucoup de force. C’est un peu ce que j’ai essayé de faire.
Etagère
Le jour où… vous avez eu la pression
J’ai toujours ressenti une énorme pression. Mais plus particulièrement lors d’un projet de mobilier pour… un cabinet d’avocat, ce qui était assez stressant. Je savais que s’il y avait le moindre problème, ils me tomberaient dessus. Je leur ai livré une énorme table de réunion avec des gros plateaux très lourds. C’était en plein mois d’août, il faisait très chaud. Je leur ai demandé de l’aide pour porter les plateaux dans l’escalier. On transpirait, c’était un peu glissant. J’ai imaginé ce qui se passerait si le plateau provoquait un accident…
J’ai toujours ressenti une énorme pression. Mais plus particulièrement lors d’un projet de mobilier pour… un cabinet d’avocat, ce qui était assez stressant. Je savais que s’il y avait le moindre problème, ils me tomberaient dessus. Je leur ai livré une énorme table de réunion avec des gros plateaux très lourds. C’était en plein mois d’août, il faisait très chaud. Je leur ai demandé de l’aide pour porter les plateaux dans l’escalier. On transpirait, c’était un peu glissant. J’ai imaginé ce qui se passerait si le plateau provoquait un accident…
BIBLIOTHÈQUE SÉVERIN
Le jour où… vous avez douté
Depuis que j’ai deux enfants qui me prennent énormément de temps, j’ai moins de temps pour douter. Quand on est créatif, on a toujours besoin d’être rassuré, d’avoir l’impression que ce que l’on fait est bien. C’est un peu une angoisse permanente. À chaque vente, je ressens un petit boost positif. Si ça fait trop longtemps que je n’ai pas vendu, je commence à déprimer.
Depuis que j’ai deux enfants qui me prennent énormément de temps, j’ai moins de temps pour douter. Quand on est créatif, on a toujours besoin d’être rassuré, d’avoir l’impression que ce que l’on fait est bien. C’est un peu une angoisse permanente. À chaque vente, je ressens un petit boost positif. Si ça fait trop longtemps que je n’ai pas vendu, je commence à déprimer.
Le jour où… vous aurez dessiné votre meuble de rêve
Je travaille sur un objet depuis plusieurs années. J’ai souvent mal au dos à la fin de la journée. J’essaie de développer la chaise longue ultime. Je me base sur la chaise longue de Le Corbusier en l’adaptant à ma propre esthétique pour mener au produit parfait. Le but est que mon dos soit soulagé dès que je m’allongerais dessus.
ET VOUS ?
Que pensez-vous du parcours et des créations d’Alex de Rouvray ?
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Je travaille sur un objet depuis plusieurs années. J’ai souvent mal au dos à la fin de la journée. J’essaie de développer la chaise longue ultime. Je me base sur la chaise longue de Le Corbusier en l’adaptant à ma propre esthétique pour mener au produit parfait. Le but est que mon dos soit soulagé dès que je m’allongerais dessus.
ET VOUS ?
Que pensez-vous du parcours et des créations d’Alex de Rouvray ?
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Le choix de m’orienter vers le design est lié à une rencontre avec un professeur de l’université de Stanford. Il donnait un cours d’arts appliqués au design. À l’université américaine, on encourage les gens à tenter d’autres disciplines. Le message est le suivant : tout est possible. En France, on a plutôt tendance à dire aux gens que tout n’est pas possible. Si on ne dessine pas bien par, exemple, on ne va pas être orienté vers le design. Alors qu’aux USA, on ne va pas s’arrêter à ça. J’ai été poussé à explorer mon côté créatif, alors que je pensais ne pas en avoir. Cet état d’esprit m’a permis de m’orienter vers le design dès l’université. Sinon, j’étais plutôt parti pour être ingénieur.