Portrait d'artisan : Ismaël Carré, virtuose de la porcelaine
Ismaël Carré, 30 ans, céramiste autodidacte, s'est déjà fait une place parmi les meilleurs artisans d'art de France
Ismaël Carré aurait dû travailler dans le monde de la musique. Musicien, ce Lyonnais d’origine est sorti diplômé du conservatoire de Paris en tant qu’ingénieur du son. Mais c’était avant de découvrir la céramique il y a quatre ans et de se lancer passionnément dans la création d’objets en porcelaine. Bols, bouteilles, mugs, tasses, cuillères, vases, lampes, ses créations attirent l’œil d’emblée par leurs formes contemporaines inédites, colorées et graphiques. À la fois élaborées et enfantines. Et à voir ce jeune homme timide, au délicat regard vert, évoluer avec tant d’énergie du haut de ses 2 mètres, on ressent cette même dualité mystérieuse qui nous donne très envie de percer les secrets de sa création. Son œuvre lui a déjà valu d’exposer quatre fois sur le salon Maison&Objet, parmi les plus grands artisans d’art de France. Aujourd’hui, il a accepté d’ouvrir les portes de son atelier aux lecteurs de Houzz.
Comment vous êtes-vous formé ?
Je suis un pur autodidacte. L’amie céramiste m’a montré quelques trucs et les différentes matières que l’on peut travailler. J’ai tout de suite eu un coup de foudre pour la porcelaine, si blanche, si belle, si douce. J’ai fait mes petits essais de mon côté et, au bout de deux ans, j’ai eu envie de m’installer à mon compte et de lancer une collection. J’ai d’abord installé mon atelier à Laval et, depuis septembre 2016, j’ai posé mes valises à Toulouse dans cet atelier en centre-ville.
Je suis un pur autodidacte. L’amie céramiste m’a montré quelques trucs et les différentes matières que l’on peut travailler. J’ai tout de suite eu un coup de foudre pour la porcelaine, si blanche, si belle, si douce. J’ai fait mes petits essais de mon côté et, au bout de deux ans, j’ai eu envie de m’installer à mon compte et de lancer une collection. J’ai d’abord installé mon atelier à Laval et, depuis septembre 2016, j’ai posé mes valises à Toulouse dans cet atelier en centre-ville.
Quelles matières travaillez-vous ?
Je travaille exclusivement la porcelaine. C’est un mélange à base de kaolin que j’achète tout prêt à Limoges. Elle se différencie du grès, une matière plus brute que l’on peut trouver telle quelle au fond de son jardin. Je ne la travaille pas au tour mais j’en réalise une préparation liquide comme de la pâte à crêpe que je coule dans des moules.
J’ai choisi cette matière pour son côté technique qui m’attire. Déjà, quand j’étais dans la musique, je me suis orienté vers ce qui demandait de la technicité. La porcelaine est clairement la terre la plus exigeante. Elle est capricieuse, elle se déforme beaucoup. On la subit mais, à force, on finit par la dompter. Je trouve cela amusant d’apprendre à la canaliser.
Je travaille exclusivement la porcelaine. C’est un mélange à base de kaolin que j’achète tout prêt à Limoges. Elle se différencie du grès, une matière plus brute que l’on peut trouver telle quelle au fond de son jardin. Je ne la travaille pas au tour mais j’en réalise une préparation liquide comme de la pâte à crêpe que je coule dans des moules.
J’ai choisi cette matière pour son côté technique qui m’attire. Déjà, quand j’étais dans la musique, je me suis orienté vers ce qui demandait de la technicité. La porcelaine est clairement la terre la plus exigeante. Elle est capricieuse, elle se déforme beaucoup. On la subit mais, à force, on finit par la dompter. Je trouve cela amusant d’apprendre à la canaliser.
Quel rapport entretenez-vous avec la matière ?
J’ai tout de suite éprouvé que le contact avec la matière était pour moi essentiel. Malaxer ce qui vient de la terre est comme une communion avec l’humanité, nos origines. Ça touche à l’essence de l’humain, comme l’agriculture par exemple. Et ce sentiment connecte beaucoup de gens. Je dirais aussi qu’avoir une prise directe avec la matière est très apaisant.
J’ai tout de suite éprouvé que le contact avec la matière était pour moi essentiel. Malaxer ce qui vient de la terre est comme une communion avec l’humanité, nos origines. Ça touche à l’essence de l’humain, comme l’agriculture par exemple. Et ce sentiment connecte beaucoup de gens. Je dirais aussi qu’avoir une prise directe avec la matière est très apaisant.
Quelles sont les étapes de la création d’une pièce ?
J’imagine en premier lieu une pièce que j’ai envie de réaliser. J’en fais des croquis pour m’en souvenir puis je commence par fabriquer sa forme en plâtre. Comme je travaille la porcelaine en coulage, je réalise un moule en plâtre à partir de cette forme. Heureusement, cela ne m’a jamais posé de problème de concevoir mentalement en volume. Je coule ensuite la pâte dans le moule et, ayant vidé le surplus, le plâtre du moule absorbe l’eau de la porcelaine. Après 5 minutes, je sors la pièce qui est très fragile et lui passe un coup d’éponge pour ôter les coutures formées par le moule.
J’imagine en premier lieu une pièce que j’ai envie de réaliser. J’en fais des croquis pour m’en souvenir puis je commence par fabriquer sa forme en plâtre. Comme je travaille la porcelaine en coulage, je réalise un moule en plâtre à partir de cette forme. Heureusement, cela ne m’a jamais posé de problème de concevoir mentalement en volume. Je coule ensuite la pâte dans le moule et, ayant vidé le surplus, le plâtre du moule absorbe l’eau de la porcelaine. Après 5 minutes, je sors la pièce qui est très fragile et lui passe un coup d’éponge pour ôter les coutures formées par le moule.
Puis je laisse sécher, de 1 à 3 jours selon sa taille et la période de l’année. Ensuite je la soumets à une première cuisson « basse température » (980-1 000°) pendant une journée et j’obtiens un dégourdi : une pièce qui n’est pas vitrifiée, fragile, un peu comme un pot en terre. À la sortie du four, je la ponce. Puis je la colore, gratte le motif et l’émaille. Enfin, je la soumets à une seconde cuisson, à haute température cette fois (1 300°), une nouvelle journée durant.
Et votre moment préféré de la création ?
C’est lorsque le premier exemplaire d’un nouveau modèle sort pour la première fois. J’ai fait des dizaines d’essais, souvent ratés, j’ai fabriqué le moule et enfin la pièce sort. C’est vraiment un moment intense !
Et votre moment préféré de la création ?
C’est lorsque le premier exemplaire d’un nouveau modèle sort pour la première fois. J’ai fait des dizaines d’essais, souvent ratés, j’ai fabriqué le moule et enfin la pièce sort. C’est vraiment un moment intense !
Parlez-nous de votre collection Les Hauts Gradés
Ma collection actuelle se décline en pièces d’art de la table, des lampes, une cloche, une guirlande. En tout, une quinzaine de pièces déclinées la plupart en six couleurs. Je la rôde depuis deux ans maintenant. Le nom de ma collection est un jeu de mots avec « dégradés » et n’a aucun rapport avec la chose militaire, qui n’est pas trop mon truc. Cette collection m’a fait connaître. J’ai même été repéré en 2015 par le Bon Marché, à qui j’ai livré une centaine de pièces. Mais il est temps que je pense à autre chose, me remette en danger.
Ma collection actuelle se décline en pièces d’art de la table, des lampes, une cloche, une guirlande. En tout, une quinzaine de pièces déclinées la plupart en six couleurs. Je la rôde depuis deux ans maintenant. Le nom de ma collection est un jeu de mots avec « dégradés » et n’a aucun rapport avec la chose militaire, qui n’est pas trop mon truc. Cette collection m’a fait connaître. J’ai même été repéré en 2015 par le Bon Marché, à qui j’ai livré une centaine de pièces. Mais il est temps que je pense à autre chose, me remette en danger.
La couleur semble très importante pour vous…
Oui, c’est vrai. J’ai du mal à imaginer comment était le monde d’avant, sans toutes ces couleurs dont nous disposons. Et même avant que le fluo n’existe. La plupart de mes pièces arborent des teintes vives et mes amis me font souvent remarquer que je m’habille en couleur. J’adore le violet, l’aubergine, des tons particulièrement difficiles à obtenir sur de la porcelaine.
Oui, c’est vrai. J’ai du mal à imaginer comment était le monde d’avant, sans toutes ces couleurs dont nous disposons. Et même avant que le fluo n’existe. La plupart de mes pièces arborent des teintes vives et mes amis me font souvent remarquer que je m’habille en couleur. J’adore le violet, l’aubergine, des tons particulièrement difficiles à obtenir sur de la porcelaine.
Cette collection colorée est partie du fait que j’étais turlupiné de voir majoritairement de la porcelaine blanche sur le marché. Je me suis renseigné. On m’a raconté que la couleur ne tenait pas sur la porcelaine, alors le défi technique m’a immédiatement passionné. J’ai découvert qu’il y avait beaucoup de couleurs disponibles dans les catalogues de fournisseurs. J’en ai commandé et, à force de tentatives, j’y suis arrivé.
Avant la deuxième cuisson, j’applique la couleur à l’extérieur de mes pièces. Cela donne un rendu mat. À l’intérieur, je les émaille en transparent, ce qui crée une brillance. Pour réaliser les couleurs, j’utilise des oxydes. Je les emploie tels quels ou mélangés, au gré de mes envies.
Quelle est votre signature ?
Mes motifs graphiques et en dégradé sont ma marque de fabrique. Depuis toujours, j’adore le graphisme, les motifs géométriques. Ils me viennent machinalement. Ils ont l’air naïfs car je les fais à la main, une fois que j’ai appliqué la couleur, en grattant la porcelaine. La technique s’appelle le sgrafitto, un joli mot. Le geste, répétitif, prend beaucoup de temps. J’aime cette étape qui me plonge dans une autre temporalité.
Le dégradé est venu un peu de la même façon, au hasard de mes essais. Je voulais alléger mes pièces : j’aimais l’idée que le motif se perde dans le blanc.
Mes motifs graphiques et en dégradé sont ma marque de fabrique. Depuis toujours, j’adore le graphisme, les motifs géométriques. Ils me viennent machinalement. Ils ont l’air naïfs car je les fais à la main, une fois que j’ai appliqué la couleur, en grattant la porcelaine. La technique s’appelle le sgrafitto, un joli mot. Le geste, répétitif, prend beaucoup de temps. J’aime cette étape qui me plonge dans une autre temporalité.
Le dégradé est venu un peu de la même façon, au hasard de mes essais. Je voulais alléger mes pièces : j’aimais l’idée que le motif se perde dans le blanc.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
C’est très difficile à dire. Je suis une personne très curieuse. Quand je vais quelque part, mes yeux vont partout, je détaille tout ce qui m’entoure, et un jour, tandis que je suis en train de créer, un détail ressort parmi ceux que j’ai enregistrés lors de mes observations. Et je le réinterprète à travers le prisme de ma sensibilité. En tout cas, les choses que je préfère sont toujours simples et ludiques.
C’est très difficile à dire. Je suis une personne très curieuse. Quand je vais quelque part, mes yeux vont partout, je détaille tout ce qui m’entoure, et un jour, tandis que je suis en train de créer, un détail ressort parmi ceux que j’ai enregistrés lors de mes observations. Et je le réinterprète à travers le prisme de ma sensibilité. En tout cas, les choses que je préfère sont toujours simples et ludiques.
Qu’est-il important de véhiculer à travers vos pièces ?
Je souhaite que le plaisir que j’ai eu à faire mes créations se transmette dans leur usage aux gens qui les ont achetées. Il m’importe aussi que mes pièces aient l’air hyper simples, évidentes, pas prétentieuses. Qu’elles ressemblent à un danseur qui se déplace avec grâce alors qu’il y a des heures de travail derrière et une grande maîtrise technique. Mon but est que mes créations décrochent des sourires.
Je souhaite que le plaisir que j’ai eu à faire mes créations se transmette dans leur usage aux gens qui les ont achetées. Il m’importe aussi que mes pièces aient l’air hyper simples, évidentes, pas prétentieuses. Qu’elles ressemblent à un danseur qui se déplace avec grâce alors qu’il y a des heures de travail derrière et une grande maîtrise technique. Mon but est que mes créations décrochent des sourires.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui aimerait marcher dans vos traces ?
De ne pas le faire. Nous sommes peu à arriver à vivre de nos seules productions. Beaucoup de céramistes donnent des cours à côté, mais je n’en ai ni le temps ni l’envie.
C’est également un vrai défi de produire, livrer ses clients et, en même temps, imaginer une nouvelle collection. Elle doit être cohérente. Je dois éviter de m’éparpiller et la penser comme un ensemble, puis créer les moules, ce qui est très long… C’est un métier qui requiert beaucoup d’implication.
De ne pas le faire. Nous sommes peu à arriver à vivre de nos seules productions. Beaucoup de céramistes donnent des cours à côté, mais je n’en ai ni le temps ni l’envie.
C’est également un vrai défi de produire, livrer ses clients et, en même temps, imaginer une nouvelle collection. Elle doit être cohérente. Je dois éviter de m’éparpiller et la penser comme un ensemble, puis créer les moules, ce qui est très long… C’est un métier qui requiert beaucoup d’implication.
Céramiste, artisan, artiste ? Comment vous définiriez-vous ?
J’appartiens à la famille des potiers et céramistes, mais le qualificatif que je préfère, c’est créateur. Pour l’instant, je travaille la porcelaine, mais je me sens également attiré par d’autres matériaux : le textile, le bois, le cuir… La matière n’est pas une fin en soi, mais un support à la création et je n’exclus pas dans le futur d’en travailler d’autres que la porcelaine. Pourvu que je continue à créer.
J’appartiens à la famille des potiers et céramistes, mais le qualificatif que je préfère, c’est créateur. Pour l’instant, je travaille la porcelaine, mais je me sens également attiré par d’autres matériaux : le textile, le bois, le cuir… La matière n’est pas une fin en soi, mais un support à la création et je n’exclus pas dans le futur d’en travailler d’autres que la porcelaine. Pourvu que je continue à créer.
Bientôt une prochaine collection ?
En septembre 2017, pour Maison&Objet, je poursuivrai ma collection actuelle avec de nouvelles pièces et, en parallèle, je prépare une toute nouvelle collection tournée vers les arts de la table, avec de nouvelles lampes aussi. On y retrouvera le graphisme, le dégradé aussi, mais pas sous cette forme. Comme pour le second album d’un musicien, je sais que l’on m’attend au tournant. Il ne va pas falloir rater mon coup.
Et où pourra-t-on acheter vos pièces ?
Je distribue en France et à l’étranger à travers des boutiques déco, concept stores et galeries. Et je viens juste de lancer ma boutique en ligne.
En septembre 2017, pour Maison&Objet, je poursuivrai ma collection actuelle avec de nouvelles pièces et, en parallèle, je prépare une toute nouvelle collection tournée vers les arts de la table, avec de nouvelles lampes aussi. On y retrouvera le graphisme, le dégradé aussi, mais pas sous cette forme. Comme pour le second album d’un musicien, je sais que l’on m’attend au tournant. Il ne va pas falloir rater mon coup.
Et où pourra-t-on acheter vos pièces ?
Je distribue en France et à l’étranger à travers des boutiques déco, concept stores et galeries. Et je viens juste de lancer ma boutique en ligne.
Comment imaginez-vous votre futur de créateur ?
Je souhaite avoir toujours du plaisir à faire ce que je fais car on peut vite se perdre. Je souhaiterais grossir un peu de manière à pouvoir faire de nouveaux objets régulièrement, exprimer de nouvelles choses. À vrai dire, je ne me projette pas trop. Je fais à ma mesure et, pour l’instant, je m’attache à bien maîtriser ma technique avant tout. J’ai l’intuition que les choses viennent quand elles doivent venir, au bon moment. Je suis confiant pour mon avenir lointain, je vis dans le présent.
ET VOUS ?
Que pensez-vous des réalisations d’Ismaël Carré ?
Lire aussi :
Retour sur le savoir-faire de 19 artisans français
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Je souhaite avoir toujours du plaisir à faire ce que je fais car on peut vite se perdre. Je souhaiterais grossir un peu de manière à pouvoir faire de nouveaux objets régulièrement, exprimer de nouvelles choses. À vrai dire, je ne me projette pas trop. Je fais à ma mesure et, pour l’instant, je m’attache à bien maîtriser ma technique avant tout. J’ai l’intuition que les choses viennent quand elles doivent venir, au bon moment. Je suis confiant pour mon avenir lointain, je vis dans le présent.
ET VOUS ?
Que pensez-vous des réalisations d’Ismaël Carré ?
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Je faisais mes débuts dans la production à Paris quand une amie de mes parents, céramiste, m’a proposé d’essayer. Je lui ai rendu visite dans son atelier de Laval et ça a été une évidence, le choix du cœur. Travailler la matière m’a confronté à une immédiateté du résultat concret. Ce lien direct entre la pensée, la main et l’objet m’a plu. D’ailleurs depuis tout jeune, j’ai toujours été manuel. Je dessinais beaucoup, je bricolais, fabriquais toute sorte d’objets. Une petite voix au fond de moi m’a toujours dit que je travaillerai avec mes mains.