Viva Brazil et son mobilier moderniste !
À l’approche des Jeux Olympiques, nous rendons hommage aux designers brésiliens méconnus et à leurs étonnants fauteuils des années 1950
Lorsqu’on s’installera devant la télé le 5 août prochain pour regarder les cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques d’été de Rio de Janeiro, on ne pourra souhaiter mieux qu’un fauteuil Mole original, avec ses moelleux coussins de cuir de veau, ses sangles de cuir réglables et sa structure de jacaranda lustrée. Dans son nouveau livre, Brazil Modern : The Rediscovery of Twentieth-Century Brazilian Furniture [Le Brésil moderne : Redécouvrir le mobilier brésilien du XXᵉ siècle, NDLT], Aric Chen soutient que le fauteuil Mole et ses compagnons des années 1950, dont des exemples seront présentés ci-dessous, méritent une place de choix parmi d’autres icônes brésiliennes comme Copacabana, la samba, l’Amazone et les noix.
Fauteuil Leve avec structure de jacaranda, assise et dossier recouverts d’un tissu tissé à la main par Tara Chapas. Photo : Sherry Griffin
Le fauteuil Leve (« léger »), 1942
Aric Chen, critique en design et conservateur design et architecture au Musée M+ de Hong Kong, a rédigé de courtes biographies d’une douzaine de créateurs de mobilier des années 1950 parmi les plus importants du Brésil dans Brazil Modern. L’un d’eux, Joaquim Tenreiro (1906-1992), a appris l’ébénisterie avec son père au Portugal. Il s’installe à Rio en 1928 et commence par travailler dans des ateliers spécialisés dans la fabrication d’ameublement pour des maisons cossues dans les styles européens traditionnels comme le Chippendale et le Louis XVI. Pour lui, ces pièces volumineuses et lourdes n’ont pas leur place dans son pays d’adoption tropical. Il commence alors à expérimenter avec des formes simples et épurées.
En 1942, le travail de Joaquim Tenreiro attire l’attention du grand architecte brésilien, Oscar Niemeyer. Il lui commande le mobilier pour une maison alors en construction. Aric Chen reconnaît dans ces pièces des influences italiennes, scandinaves et du Bauhaus. Cette même année, le designer crée sa conception la plus révolutionnaire, le fauteuil Leve. Avec ses coussins rembourrés élégamment posés sur une structure d’imbuia (noyer du Brésil) ou de jacaranda, le Leve incarne la philosophie de Joaquim Tenreiro, où le mobilier moderne brésilien est « formellement léger… d’une légèreté qui n’a rien à voir avec le poids lui-même, mais avec son élégance et sa fonctionnalité ».
Le fauteuil Leve (« léger »), 1942
Aric Chen, critique en design et conservateur design et architecture au Musée M+ de Hong Kong, a rédigé de courtes biographies d’une douzaine de créateurs de mobilier des années 1950 parmi les plus importants du Brésil dans Brazil Modern. L’un d’eux, Joaquim Tenreiro (1906-1992), a appris l’ébénisterie avec son père au Portugal. Il s’installe à Rio en 1928 et commence par travailler dans des ateliers spécialisés dans la fabrication d’ameublement pour des maisons cossues dans les styles européens traditionnels comme le Chippendale et le Louis XVI. Pour lui, ces pièces volumineuses et lourdes n’ont pas leur place dans son pays d’adoption tropical. Il commence alors à expérimenter avec des formes simples et épurées.
En 1942, le travail de Joaquim Tenreiro attire l’attention du grand architecte brésilien, Oscar Niemeyer. Il lui commande le mobilier pour une maison alors en construction. Aric Chen reconnaît dans ces pièces des influences italiennes, scandinaves et du Bauhaus. Cette même année, le designer crée sa conception la plus révolutionnaire, le fauteuil Leve. Avec ses coussins rembourrés élégamment posés sur une structure d’imbuia (noyer du Brésil) ou de jacaranda, le Leve incarne la philosophie de Joaquim Tenreiro, où le mobilier moderne brésilien est « formellement léger… d’une légèreté qui n’a rien à voir avec le poids lui-même, mais avec son élégance et sa fonctionnalité ».
Photo : Sherry Griffin/R & Co
La cadeira de Três Pés (« chauffeuse à trois pieds »), 1947
Ce n’est pas étonnant dans un pays qui tire son nom de celui d’un arbre, que « l’histoire du design brésilien commence avec du bois », écrit Aric Chen. Les premiers colons portugais s’intéressent d’abord au bois de Pernambouc, qu’ils appellent pau-brasil en référence à la teinture rouge produite par ses fibres (pau, signifie « bâton » en portugais et Brasil viendrait de brasa, c’est-à-dire « braise »). Plus tard, on appréciera ce bois pour sa durabilité et sa flexibilité. On l’utilisera en particulier pour la fabrication d’archets de violon, qui est aujourd’hui la principale menace de cette essence en voie de disparition.
La chauffeuse Três Pés met en avant, selon l’auteur, la maîtrise inégalée de Joaquim Tenreiro à travailler avec des bois brésiliens richement colorés et veinés. Dans cette version, cinq essences de bois forment le dossier et l’assise striés, qui reposent sur trois pieds tournés. Ces chauffeuses étaient chères au designer et, selon un article paru dans le magazine Cultured, il les a toujours étiquetées comme design original. Elles étaient d’ailleurs réservées aux commandes importantes.
La cadeira de Três Pés (« chauffeuse à trois pieds »), 1947
Ce n’est pas étonnant dans un pays qui tire son nom de celui d’un arbre, que « l’histoire du design brésilien commence avec du bois », écrit Aric Chen. Les premiers colons portugais s’intéressent d’abord au bois de Pernambouc, qu’ils appellent pau-brasil en référence à la teinture rouge produite par ses fibres (pau, signifie « bâton » en portugais et Brasil viendrait de brasa, c’est-à-dire « braise »). Plus tard, on appréciera ce bois pour sa durabilité et sa flexibilité. On l’utilisera en particulier pour la fabrication d’archets de violon, qui est aujourd’hui la principale menace de cette essence en voie de disparition.
La chauffeuse Três Pés met en avant, selon l’auteur, la maîtrise inégalée de Joaquim Tenreiro à travailler avec des bois brésiliens richement colorés et veinés. Dans cette version, cinq essences de bois forment le dossier et l’assise striés, qui reposent sur trois pieds tournés. Ces chauffeuses étaient chères au designer et, selon un article paru dans le magazine Cultured, il les a toujours étiquetées comme design original. Elles étaient d’ailleurs réservées aux commandes importantes.
Photo : Sherry Griffin
La chaise Bola (« boule »), 1951
Le style détendu est une autre caractéristique du design brésilien. Par exemple, Aric Chen fait remarquer que Joaquim Tenreiro abaissait la hauteur des tables afin qu’on s’y installe plus confortablement. L’architecte designer Lina Bo Bardi (1914-1992) le suivit rapidement avec sa chaise Bola, faite de cuir corseté sur une armature de fer coiffée de sphères de laiton. Cette chaise fut spécialement créée pour la Casa de Vidro (« la maison de verre »), la résidence de São Paulo qu’elle a conçue pour elle et son mari, le critique d’art Pietro Maria Bardi.
Le couple avait quitté une Italie déchirée par la guerre pour se réfugier au Brésil, où Lina Bo Bardi travaille avec Gio Ponti en 1946. « Je me sentais dans un pays inimaginable, où tout était possible », se souvient-elle. « J’étais heureuse et Rio n’était pas en ruines. »
Un an plus tard, Pietro Maria Bardi devient le cofondateur du musée d’art de São Paulo. Il en assurera la direction pour les cinq décennies à venir. Le bâtiment de verre et de béton a été conçu par sa femme.
La chaise Bola (« boule »), 1951
Le style détendu est une autre caractéristique du design brésilien. Par exemple, Aric Chen fait remarquer que Joaquim Tenreiro abaissait la hauteur des tables afin qu’on s’y installe plus confortablement. L’architecte designer Lina Bo Bardi (1914-1992) le suivit rapidement avec sa chaise Bola, faite de cuir corseté sur une armature de fer coiffée de sphères de laiton. Cette chaise fut spécialement créée pour la Casa de Vidro (« la maison de verre »), la résidence de São Paulo qu’elle a conçue pour elle et son mari, le critique d’art Pietro Maria Bardi.
Le couple avait quitté une Italie déchirée par la guerre pour se réfugier au Brésil, où Lina Bo Bardi travaille avec Gio Ponti en 1946. « Je me sentais dans un pays inimaginable, où tout était possible », se souvient-elle. « J’étais heureuse et Rio n’était pas en ruines. »
Un an plus tard, Pietro Maria Bardi devient le cofondateur du musée d’art de São Paulo. Il en assurera la direction pour les cinq décennies à venir. Le bâtiment de verre et de béton a été conçu par sa femme.
Photo : Marco Covi pour Arper
La Bowl chair, 1951
Au travers de architecture et de son mobilier, Lina Bo Bardi a toujours aspiré à l’essentiel et l’authentique. Elle absorbe les cultures indigènes et privilégie l’activité humaine. « Tant que l’homme ne pénètre pas dans un bâtiment, ne monte pas les escaliers et ne prend pas possession de l’espace dans une “aventure humaine” qui se développe au fil du temps, l’architecture n’existe pas », déclare-t-elle.
L’avant-gardiste Bowl chair, sa pièce de mobilier la plus connue, encourage l’interaction. Son siège rembourré en demi-sphère librement niché dans son anneau d’acier à quatre pieds peut s’incliner selon le besoin de son occupant et peut même être utilisé sans son socle. À l’origine, la designer crée deux versions : une de cuir noir, présentée en 1953 en couverture du magazine Interiors, et une autre faite de plastique translucide.
Lina Bo Bardi n’a pas connu la notoriété de son vivant : sa première grande exposition n’aura lieu qu’en 1989. Récemment, considérée par le critique britannique Rowan Moore comme l’architecte la plus sous-estimée de l’ère moderne, elle fait l’objet d’expositions dans des galeries et des musées en Amérique du Nord et en Europe. Et en 2014, pour le centième anniversaire de sa naissance, Arper a lancé une série limitée de 500 Bowl chairs, en cuir noir et en sept tissus colorés. Les bénéfices sont allés à l’Instituto Lina Bo e P.M. Bardi à São Paulo, dépositaire de son œuvre.
La Bowl chair, 1951
Au travers de architecture et de son mobilier, Lina Bo Bardi a toujours aspiré à l’essentiel et l’authentique. Elle absorbe les cultures indigènes et privilégie l’activité humaine. « Tant que l’homme ne pénètre pas dans un bâtiment, ne monte pas les escaliers et ne prend pas possession de l’espace dans une “aventure humaine” qui se développe au fil du temps, l’architecture n’existe pas », déclare-t-elle.
L’avant-gardiste Bowl chair, sa pièce de mobilier la plus connue, encourage l’interaction. Son siège rembourré en demi-sphère librement niché dans son anneau d’acier à quatre pieds peut s’incliner selon le besoin de son occupant et peut même être utilisé sans son socle. À l’origine, la designer crée deux versions : une de cuir noir, présentée en 1953 en couverture du magazine Interiors, et une autre faite de plastique translucide.
Lina Bo Bardi n’a pas connu la notoriété de son vivant : sa première grande exposition n’aura lieu qu’en 1989. Récemment, considérée par le critique britannique Rowan Moore comme l’architecte la plus sous-estimée de l’ère moderne, elle fait l’objet d’expositions dans des galeries et des musées en Amérique du Nord et en Europe. Et en 2014, pour le centième anniversaire de sa naissance, Arper a lancé une série limitée de 500 Bowl chairs, en cuir noir et en sept tissus colorés. Les bénéfices sont allés à l’Instituto Lina Bo e P.M. Bardi à São Paulo, dépositaire de son œuvre.
Photo : Joe Kramm/R & Co
Le tabouret Mocho, 1954
La première génération de designers modernistes brésiliens produit des meubles à une échelle artisanale, note Aric Chen. Cela change avec l’arrivée de Sérgio Rodrigues (1927-2014), qu’il appelle « le plus brésilien des designers ».
Né à Rio de l’union d’un chanteur d’opéra et d’une artiste, Sérgio Rodrigues est initié à la fabrication de meubles par son grand-oncle, puis il étudie l’architecture à l’université. Au Brésil, à l’époque, écrit Aric Chen, le design d’intérieur est une discipline toute jeune par rapport à l’architecture et Sérgio Rodrigues choisit de s’y consacrer. Sa première pièce, le tabouret Mocho, est une interprétation ludique du traditionnel tabouret de traite. Son trou et sa forme tout en rondeurs en sont les caractéristiques clés.
En 1955, le designer fonde l’entreprise de mobilier Oca, qui signifie « habitation indigène de chaume ». La société met en avant ses créations et un style de vie décontracté à la brésilienne. À son apogée, Oca possède une vaste usine, des boutiques à travers tout le Brésil et une filiale à Carmel, en Californie.
Le tabouret Mocho, 1954
La première génération de designers modernistes brésiliens produit des meubles à une échelle artisanale, note Aric Chen. Cela change avec l’arrivée de Sérgio Rodrigues (1927-2014), qu’il appelle « le plus brésilien des designers ».
Né à Rio de l’union d’un chanteur d’opéra et d’une artiste, Sérgio Rodrigues est initié à la fabrication de meubles par son grand-oncle, puis il étudie l’architecture à l’université. Au Brésil, à l’époque, écrit Aric Chen, le design d’intérieur est une discipline toute jeune par rapport à l’architecture et Sérgio Rodrigues choisit de s’y consacrer. Sa première pièce, le tabouret Mocho, est une interprétation ludique du traditionnel tabouret de traite. Son trou et sa forme tout en rondeurs en sont les caractéristiques clés.
En 1955, le designer fonde l’entreprise de mobilier Oca, qui signifie « habitation indigène de chaume ». La société met en avant ses créations et un style de vie décontracté à la brésilienne. À son apogée, Oca possède une vaste usine, des boutiques à travers tout le Brésil et une filiale à Carmel, en Californie.
Photo : avec l’aimable autorisation de R & Co
Le fauteuil Mole (« moelleux »), 1957
Quintessence du style brésilien dans sa forme et sa matière – et extrêmement confortable – le fauteuil Mole catapulte Sérgio Rodrigues vers la gloire, affirme Aric Chen. Il remporte le premier prix au concours international de meubles de 1961 en Italie et est rebaptisé pour l’occasion le Shérif. Par la suite, il est produit en Italie et distribué internationalement. Il ouvre la voie aux imposants meubles surdimensionnés et bohèmes et gagne finalement une place dans la collection permanente du musée d’art moderne.
« Ma propre maison est remplie de prototypes », déclare Sérgio Rodrigues dans une interview vidéo. « J’apporte des fauteuils à la maison afin de les tester : ça va si ma femme les aime et si mon chien les aime, parce que, par exemple, à l’époque du Bauhaus, un chat qui aurait voulu grimper sur un fauteuil aurait glissé tout de suite. Mais chez moi, les chats et les chiens s’assoient très confortablement. »
Le fauteuil Mole apparaît sur le marché juste après le début de la construction de la nouvelle capitale du Brésil, Brasília : la première ville construite à partir de zéro grâce à une planification urbaine moderne et pour laquelle le président Juscelino Kubitschek promet « 50 ans de progrès en cinq ans ». Lúcio Costa en est l’urbaniste et Oscar Niemeyer l’architecte en chef. Tous deux sont impressionnés par le travail de Sérgio Rodrigues et l’invitent à imaginer une grande partie du mobilier des nouveaux bâtiments.
C’est une période grisante pour le pays. Il accueille cet esprit de changement, d’invention et de nationalisme non seulement dans l’architecture, mais aussi dans les arts. Selon l’auteur, Rodrigues a incarné et transcendé cet esprit. Il a produit plus de 1 200 œuvres sur six décennies.
Le fauteuil Mole (« moelleux »), 1957
Quintessence du style brésilien dans sa forme et sa matière – et extrêmement confortable – le fauteuil Mole catapulte Sérgio Rodrigues vers la gloire, affirme Aric Chen. Il remporte le premier prix au concours international de meubles de 1961 en Italie et est rebaptisé pour l’occasion le Shérif. Par la suite, il est produit en Italie et distribué internationalement. Il ouvre la voie aux imposants meubles surdimensionnés et bohèmes et gagne finalement une place dans la collection permanente du musée d’art moderne.
« Ma propre maison est remplie de prototypes », déclare Sérgio Rodrigues dans une interview vidéo. « J’apporte des fauteuils à la maison afin de les tester : ça va si ma femme les aime et si mon chien les aime, parce que, par exemple, à l’époque du Bauhaus, un chat qui aurait voulu grimper sur un fauteuil aurait glissé tout de suite. Mais chez moi, les chats et les chiens s’assoient très confortablement. »
Le fauteuil Mole apparaît sur le marché juste après le début de la construction de la nouvelle capitale du Brésil, Brasília : la première ville construite à partir de zéro grâce à une planification urbaine moderne et pour laquelle le président Juscelino Kubitschek promet « 50 ans de progrès en cinq ans ». Lúcio Costa en est l’urbaniste et Oscar Niemeyer l’architecte en chef. Tous deux sont impressionnés par le travail de Sérgio Rodrigues et l’invitent à imaginer une grande partie du mobilier des nouveaux bâtiments.
C’est une période grisante pour le pays. Il accueille cet esprit de changement, d’invention et de nationalisme non seulement dans l’architecture, mais aussi dans les arts. Selon l’auteur, Rodrigues a incarné et transcendé cet esprit. Il a produit plus de 1 200 œuvres sur six décennies.
Photo : Joe Kramm/R & Co
Les fauteuils lounge par Forma, années 1950 et 1960
Carlo Hauner (1927-1997), un immigré italien, est propriétaire pour un temps d’une boutique de meubles avec Sérgio Rodrigues. Il achète une usine de production de meubles à São Paulo anciennement propriété de Lina Bo Bardi et de son mari. En 1955, en compagnie de Martin Eisler (1913-1977), un Viennois installé à Buenos Aires en Argentine, ils fondent l’entreprise Forma pour vendre leurs propres créations et du mobilier avec l’autorisation de Knoll International. Ils s’aventurent dans la production de masse et le marketing international. Leur collaboration dure des décennies et donne naissance à des pièces inspirées par la production industrielle, élégantes et accessibles, écrit Aric Chen. Aujourd’hui, l’héritière de Forma, Interieur Forma, est basée en Argentine et l’entreprise est toujours active au Brésil.
Au début des années 1960, note Aric Chen, les détracteurs du président Juscelino Kubitschek se plaignent de voir le Brésil connaître « 50 ans d’inflation en cinq ans ». Le pays subit une série de troubles sociaux et politiques. En 1964, un coup d’État de la droite installe une dictature militaire qui va durer jusqu’en 1985. La période suivante connaît une croissance économique extraordinaire, on l’appelle le miracle brésilien. Elle bénéficie à certains designers comme Ricardo Fasanello et Jean Gillon. Mais, comme Aric Chen le souligne, la suppression de la dissidence et la restriction des exportations par l’armée en force d’autres à l’exil.
Les fauteuils lounge par Forma, années 1950 et 1960
Carlo Hauner (1927-1997), un immigré italien, est propriétaire pour un temps d’une boutique de meubles avec Sérgio Rodrigues. Il achète une usine de production de meubles à São Paulo anciennement propriété de Lina Bo Bardi et de son mari. En 1955, en compagnie de Martin Eisler (1913-1977), un Viennois installé à Buenos Aires en Argentine, ils fondent l’entreprise Forma pour vendre leurs propres créations et du mobilier avec l’autorisation de Knoll International. Ils s’aventurent dans la production de masse et le marketing international. Leur collaboration dure des décennies et donne naissance à des pièces inspirées par la production industrielle, élégantes et accessibles, écrit Aric Chen. Aujourd’hui, l’héritière de Forma, Interieur Forma, est basée en Argentine et l’entreprise est toujours active au Brésil.
Au début des années 1960, note Aric Chen, les détracteurs du président Juscelino Kubitschek se plaignent de voir le Brésil connaître « 50 ans d’inflation en cinq ans ». Le pays subit une série de troubles sociaux et politiques. En 1964, un coup d’État de la droite installe une dictature militaire qui va durer jusqu’en 1985. La période suivante connaît une croissance économique extraordinaire, on l’appelle le miracle brésilien. Elle bénéficie à certains designers comme Ricardo Fasanello et Jean Gillon. Mais, comme Aric Chen le souligne, la suppression de la dissidence et la restriction des exportations par l’armée en force d’autres à l’exil.
Photo : avec l’aimable autorisation de l’Atelier Ricardo Fasanello
Le fauteuil Esfera (« sphère »), 1968
Né dans une riche famille de São Paulo, Ricardo Fasanello (1930-1993) s’emballe très jeune pour les voitures de course. Il apprend à conduire dès l’âge de onze ans. Même après un grave accident, à la suite duquel il reste hospitalisé pendant un an, il veut en concevoir. Il a pourtant fini par créer du mobilier qui emprunte à l’automobile les détails de la sellerie de luxe jusque dans les coutures. Comme la plupart des meubles de Fasanello, le fauteuil Esfera combine de nouveaux matériaux (fibre de verre et résine de polyester) à ses préférés, comme le cuir. Quand le cuir n’est pas conforme à ses attentes, Ricardo Fasanello installe des cadres dans sa cour arrière afin de tanner ses propres peaux, affirme l’auteur.
Le fauteuil Esfera (« sphère »), 1968
Né dans une riche famille de São Paulo, Ricardo Fasanello (1930-1993) s’emballe très jeune pour les voitures de course. Il apprend à conduire dès l’âge de onze ans. Même après un grave accident, à la suite duquel il reste hospitalisé pendant un an, il veut en concevoir. Il a pourtant fini par créer du mobilier qui emprunte à l’automobile les détails de la sellerie de luxe jusque dans les coutures. Comme la plupart des meubles de Fasanello, le fauteuil Esfera combine de nouveaux matériaux (fibre de verre et résine de polyester) à ses préférés, comme le cuir. Quand le cuir n’est pas conforme à ses attentes, Ricardo Fasanello installe des cadres dans sa cour arrière afin de tanner ses propres peaux, affirme l’auteur.
Photo : avec l’aimable autorisation de Passado Composto Século XX, São Paulo
Le fauteuil Jangada (« radeau »), 1968
D’origine roumaine, l’architecte Jean Gillon (1919-2007) arrive au Brésil en 1956. Il puise son inspiration dans les matériaux et l’artisanat indigènes pour ses intérieurs, la conception de ses projets hôteliers, de tapisseries et de mobilier. Le fauteuil Jangada, sa pièce la plus connue, rend hommage aux voiliers brésiliens dont il tire son nom : des filets et du bois soutiennent une assise de cuir.
Le fauteuil Jangada (« radeau »), 1968
D’origine roumaine, l’architecte Jean Gillon (1919-2007) arrive au Brésil en 1956. Il puise son inspiration dans les matériaux et l’artisanat indigènes pour ses intérieurs, la conception de ses projets hôteliers, de tapisseries et de mobilier. Le fauteuil Jangada, sa pièce la plus connue, rend hommage aux voiliers brésiliens dont il tire son nom : des filets et du bois soutiennent une assise de cuir.
Une réédition de 2007 du fauteuil Rio en cuir noir avec une base de bois cintré. Photo : Sherry Griffin
Le fauteuil Rio, 1971
En 1967, Oscar Niemeyer (1907-2012), communiste de son propre aveu, fuit la dictature du Brésil pour s’établir à Paris. En 1971, il commence à y concevoir des meubles pour la première fois en collaboration avec sa fille, Anna Maria Niemeyer, chargée de la supervision des intérieurs de la plupart des principaux bâtiments de Brasília. Avec sa base de bois cintré et son assise recouverte de cannage de rotin, le fauteuil à bascule Rio rappelle la signature caractéristique de ses bâtiments : ce sont « les courbes que je retrouve dans les montagnes de mon pays, dans la sinuosité de ses rivières, dans les vagues de l’océan et sur le corps de la femme aimée ».
Bien qu’Oscar Niemeyer en soit venu tard à la création de mobilier, il voit ce travail comme une extension de son art, déclare Aric Chen. Il reconnaît toutefois selon ses propres mots qu’en matière de design, il est « difficile de parvenir à une solution à la fois confortable et esthétique ».
Le fauteuil Rio, 1971
En 1967, Oscar Niemeyer (1907-2012), communiste de son propre aveu, fuit la dictature du Brésil pour s’établir à Paris. En 1971, il commence à y concevoir des meubles pour la première fois en collaboration avec sa fille, Anna Maria Niemeyer, chargée de la supervision des intérieurs de la plupart des principaux bâtiments de Brasília. Avec sa base de bois cintré et son assise recouverte de cannage de rotin, le fauteuil à bascule Rio rappelle la signature caractéristique de ses bâtiments : ce sont « les courbes que je retrouve dans les montagnes de mon pays, dans la sinuosité de ses rivières, dans les vagues de l’océan et sur le corps de la femme aimée ».
Bien qu’Oscar Niemeyer en soit venu tard à la création de mobilier, il voit ce travail comme une extension de son art, déclare Aric Chen. Il reconnaît toutefois selon ses propres mots qu’en matière de design, il est « difficile de parvenir à une solution à la fois confortable et esthétique ».
Photo : Joe Kramm
Les chaises de bois massif sculptées, années 1970
Dans les années 1940 et 1950, l’autodidacte José Zanine Caldas (1918-2001) s’est forgé une réputation pour ses conceptions et sa fabrication de mobilier de contreplaqué abordable, à São Paulo et de maisons dans la nouvelle capitale. Le coup d’État de 1964 le contraint à quitter son poste d’enseignant à l’Université de Brasília pour rentrer à Bahia. Il est alors horrifié par la déforestation qui y sévit. Inspiré par les artisans locaux qui sculptent des bateaux dans des troncs d’arbres abattus, il commence lui aussi à sculpter des meubles dans du bois récupéré. Lorsqu’il lui est impossible de se procurer du bois, l’architecte plante les arbres dont il a besoin. Il les appelle ses « meubles de protestations », raconte Aric Chen, pour attirer l’attention du public sur les pratiques néfastes pour l’environnement sur lesquelles se fonde son industrie.
Aujourd’hui, Zanini de Zanine, le fils de José Zanine Caldas et ancien apprenti de Sérgio Rodrigues, poursuit l’œuvre de son père avec la fabrication de meubles. Il utilise des sous-produits industriels et recycle de façon originale des matériaux trouvés sur des chantiers de démolition. Avec Zanini de Zanine et ses contemporains, un avenir brillant semble assuré pour le design brésilien.
Les chaises de bois massif sculptées, années 1970
Dans les années 1940 et 1950, l’autodidacte José Zanine Caldas (1918-2001) s’est forgé une réputation pour ses conceptions et sa fabrication de mobilier de contreplaqué abordable, à São Paulo et de maisons dans la nouvelle capitale. Le coup d’État de 1964 le contraint à quitter son poste d’enseignant à l’Université de Brasília pour rentrer à Bahia. Il est alors horrifié par la déforestation qui y sévit. Inspiré par les artisans locaux qui sculptent des bateaux dans des troncs d’arbres abattus, il commence lui aussi à sculpter des meubles dans du bois récupéré. Lorsqu’il lui est impossible de se procurer du bois, l’architecte plante les arbres dont il a besoin. Il les appelle ses « meubles de protestations », raconte Aric Chen, pour attirer l’attention du public sur les pratiques néfastes pour l’environnement sur lesquelles se fonde son industrie.
Aujourd’hui, Zanini de Zanine, le fils de José Zanine Caldas et ancien apprenti de Sérgio Rodrigues, poursuit l’œuvre de son père avec la fabrication de meubles. Il utilise des sous-produits industriels et recycle de façon originale des matériaux trouvés sur des chantiers de démolition. Avec Zanini de Zanine et ses contemporains, un avenir brillant semble assuré pour le design brésilien.
Sur la couverture de Brazil Modern, on peut voir le fauteuil Tonico (1963) de Sérgio Rodrigues avec son revêtement d’origine et ses coussins de cuir. Photo : avec l’aimable autorisation de Monacelli Press
Des fauteuils et plus encore
Le contenu de Brazil Modern, copublié en mars dernier avec R & Co, ne se limite pas à des fauteuils. Il offre aussi un contexte historique, des informations biographiques et plus de 400 photos de nombreuses pièces de mobilier du XXᵉ siècle.
« Le Brésil est peut-être l’une des dernières – sinon la dernière – grandes découvertes design du XXᵉ siècle », rappelle Zesty Meyers dans son introduction. Comme Aric Chen l’explique par la suite, si les designers brésiliens des années 1950 ne sont pas aussi connus que Charles Eames ou Marcel Breuer, c’est en partie à cause de l’isolement du pays pendant la dictature, de l’échelle relativement petite de la production et des obstacles à l’exportation de bois tropicaux. On disait de ces bois qu’ils pourraient se déformer dans des climats secs, sans compter leur raréfaction. Un accord commercial international restreint aujourd’hui la vente et le transport de produits fabriqués à partir d’essence d’arbres menacés.
Certains signes indiquent enfin la reconnaissance de ces designers. Ces dernières années, des entreprises comme Etel Interiores et LinBrasil ont commencé à rééditer des pièces, en remplaçant les bois d’origine par d’autres essences durables lorsque cela était nécessaire. Au début de cette année, Wade Terwilliger, président de Palm Beach Modern Auctions, a noté un intérêt croissant pour le design brésilien. En mai, Espasso, une galerie consacrée au mobilier brésilien vintage et contemporain, a ouvert une quatrième succursale à Miami (les autres sont à New York, Los Angeles et Londres). La réputation du mobilier moderniste brésilien rattrape enfin la renommée de son architecture.
Des fauteuils et plus encore
Le contenu de Brazil Modern, copublié en mars dernier avec R & Co, ne se limite pas à des fauteuils. Il offre aussi un contexte historique, des informations biographiques et plus de 400 photos de nombreuses pièces de mobilier du XXᵉ siècle.
« Le Brésil est peut-être l’une des dernières – sinon la dernière – grandes découvertes design du XXᵉ siècle », rappelle Zesty Meyers dans son introduction. Comme Aric Chen l’explique par la suite, si les designers brésiliens des années 1950 ne sont pas aussi connus que Charles Eames ou Marcel Breuer, c’est en partie à cause de l’isolement du pays pendant la dictature, de l’échelle relativement petite de la production et des obstacles à l’exportation de bois tropicaux. On disait de ces bois qu’ils pourraient se déformer dans des climats secs, sans compter leur raréfaction. Un accord commercial international restreint aujourd’hui la vente et le transport de produits fabriqués à partir d’essence d’arbres menacés.
Certains signes indiquent enfin la reconnaissance de ces designers. Ces dernières années, des entreprises comme Etel Interiores et LinBrasil ont commencé à rééditer des pièces, en remplaçant les bois d’origine par d’autres essences durables lorsque cela était nécessaire. Au début de cette année, Wade Terwilliger, président de Palm Beach Modern Auctions, a noté un intérêt croissant pour le design brésilien. En mai, Espasso, une galerie consacrée au mobilier brésilien vintage et contemporain, a ouvert une quatrième succursale à Miami (les autres sont à New York, Los Angeles et Londres). La réputation du mobilier moderniste brésilien rattrape enfin la renommée de son architecture.
Dans l’introduction du livre d’Aric Chen, Zesty Meyers, le cofondateur de la galerie de design new-yorkaise R & Co, décrit les qualités particulières des meubles brésiliens. L’inspiration, raconte-t-il, vient de l’immigration et de son métissage qui ont donné un mobilier de facture européenne sous influences indigènes, africaines et autres.