Architecture
Des projets oubliés de Frank Lloyd Wright (re)prennent vie
L’architecte espagnol David Romero crée sur ordinateur des rendus hyperréalistes des œuvres oubliées du maître
Voilà quelques années, l’architecte espagnol David Romero s’est dit qu’il était temps d’affiner ses compétences en modélisation 3D sur ordinateur. Après ses longues journées de travail dans un grand cabinet d’architecture – et après avoir couché ses deux jeunes enfants – il a ainsi passé des heures derrière son écran à s’entraîner aux dernières fonctionnalités de rendu et modélisation de projets d’architecture.
Le résultat ? Hooked on the Past [« Accro au passé » NDLT], son portfolio en ligne. On y découvre deux réalisations de Frank Lloyd Wright depuis longtemps disparues et un projet qui ne fut jamais construit. Travaillant d’après des plans, anciennes photographies et détails glanés sur des forums dédiés au grand architecte, David Romero a patiemment reproduit les intérieurs, extérieurs et sites. Le photoréalisme fascinant des images donne vie aux projets et a attiré l’attention des experts du monde entier sur le travail de l’architecte espagnol. D’autant que l’on fête cette année les 150 ans de la naissance de Frank Lloyd Wright.
Le résultat ? Hooked on the Past [« Accro au passé » NDLT], son portfolio en ligne. On y découvre deux réalisations de Frank Lloyd Wright depuis longtemps disparues et un projet qui ne fut jamais construit. Travaillant d’après des plans, anciennes photographies et détails glanés sur des forums dédiés au grand architecte, David Romero a patiemment reproduit les intérieurs, extérieurs et sites. Le photoréalisme fascinant des images donne vie aux projets et a attiré l’attention des experts du monde entier sur le travail de l’architecte espagnol. D’autant que l’on fête cette année les 150 ans de la naissance de Frank Lloyd Wright.
Voici une vue de côté de l’interprétation de la maison Pauson par David Romero. Frank Lloyd Wright l’a dessinée pour les sœurs Rose et Gertrude Pauson, respectivement artiste et paysagiste. Elles habitaient San Francisco et passaient l’hiver à l’hôtel Biltmore, en Arizona, pour lequel Frank Lloyd Wright était architecte consultant.
Amoureuses du désert, les sœurs ont acheté un terrain sur les hauteurs non loin de l’hôtel, avec une vue sur Phoenix et les montagnes alentour.
Le célèbre architecte a imaginé pour elles une maison d’hiver sur deux étages, avec trois chambres. Elle comprenait également les appartements du personnel de maison, et un carport à flanc de colline. Faite en bois de séquoia et en maçonnerie adaptée aux zones sèches – un mélange de pierre de la région coulé dans du béton – qui l’ancre dans son environnement, la résidence s’ouvre sur le désert grâce à ses terrasses et balcons. De longs pans de verre jouent avec la frontière intérieur/extérieur.
Amoureuses du désert, les sœurs ont acheté un terrain sur les hauteurs non loin de l’hôtel, avec une vue sur Phoenix et les montagnes alentour.
Le célèbre architecte a imaginé pour elles une maison d’hiver sur deux étages, avec trois chambres. Elle comprenait également les appartements du personnel de maison, et un carport à flanc de colline. Faite en bois de séquoia et en maçonnerie adaptée aux zones sèches – un mélange de pierre de la région coulé dans du béton – qui l’ancre dans son environnement, la résidence s’ouvre sur le désert grâce à ses terrasses et balcons. De longs pans de verre jouent avec la frontière intérieur/extérieur.
Avec l’aide d’AutoCAD, 3ds Max, Photoshop et d’autres logiciels et plug-ins, David Romero a détaillé, colorisé et éclairé chaque vue, à l’image de celle-ci, où figurent le bardage en séquoia, les chambres du deuxième étage et leurs balcons.
« Je ne suis pas le premier à faire cela », précise l’architecte. « Mais ce degré de réalisme est rare car cela prend un temps fou. Quand vous travaillez sur de “vrais” projets architecturaux, vous êtes contraint par le budget et les délais, vous ne passez pas trop de temps sur les rendus. Ici, c’était un projet personnel, j’ai passé beaucoup de temps sur chacune de ces images. »
Voici une vue de la maison à la tombée du jour, où l’on peut voir en contre-plongée le salon et la terrasse.
Voici une vue de la maison à la tombée du jour, où l’on peut voir en contre-plongée le salon et la terrasse.
Lorsque les livres, photos et plans ne donnaient pas assez de détails sur certains aspects du projet, David a « tenté d’entrer dans la tête de Frank Lloyd Wright ». En s’appuyant sur ses propres connaissances, il a imaginé ce qu’aurait fait l’architecte sur les plafonds par exemple, ou les angles.
Sa version du salon en duplex met en avant l’immense cheminée sur la gauche et les baies vitrées au fond de la pièce.
Sa version du salon en duplex met en avant l’immense cheminée sur la gauche et les baies vitrées au fond de la pièce.
David a également lancé quelques idées et partagé ses premiers rendus avec les membres de la Frank Lloyd Wright Building Conservancy. Il a reçu d’eux des avis et suggestions pour corriger le résultat.
Cette vue du salon montre l’alcôve pour les repas, le projet de Frank Lloyd Wright pour le canapé encastré à gauche et le balcon de la chambre, qui surplombe l’espace.
Cette vue du salon montre l’alcôve pour les repas, le projet de Frank Lloyd Wright pour le canapé encastré à gauche et le balcon de la chambre, qui surplombe l’espace.
Pour les meubles, David a pris quelques libertés. Les photos d’origine de la maison Pauson montrent des fauteuils et meubles de patio très standard.
« J’ai uniquement modélisé des meubles conçus par Frank Lloyd Wright », précise-t-il, « et laissé de côté certains meubles qu’on voyait sur les vieilles photos. Je me suis plus intéressé à l’architecture qu’à l’ameublement. »
Comme le montre cette vue, David a meublé le salon avec deux chaises sans accoudoirs imaginées par Frank Lloyd Wright pour une maison de Kansas City, et deux chaises Taliesin d’inspiration origami.
« J’ai uniquement modélisé des meubles conçus par Frank Lloyd Wright », précise-t-il, « et laissé de côté certains meubles qu’on voyait sur les vieilles photos. Je me suis plus intéressé à l’architecture qu’à l’ameublement. »
Comme le montre cette vue, David a meublé le salon avec deux chaises sans accoudoirs imaginées par Frank Lloyd Wright pour une maison de Kansas City, et deux chaises Taliesin d’inspiration origami.
La vue depuis la terrasse du salon telle que représentée par David Romero donne à voir les longs rideaux de l’époque.
Les sœurs Pauson n’ont passé qu’un hiver dans la maison après l’achèvement des travaux, pour la louer la saison suivante. Un coup de vent aurait envoyé l’un des rideaux dans la cheminée, démarrant un incendie qui a été fatal à la demeure.
Les deux sœurs ne l’ont pas fait reconstruire et ses fondations sont restées ainsi pendant presque quarante ans. Les autochtones ont donné à ces ruines le nom de Shiprock [« vaisseau de pierre », NDLT], avant qu’elles ne soient ratissées au bulldozer pour l’extension d’une autoroute.
Les sœurs Pauson n’ont passé qu’un hiver dans la maison après l’achèvement des travaux, pour la louer la saison suivante. Un coup de vent aurait envoyé l’un des rideaux dans la cheminée, démarrant un incendie qui a été fatal à la demeure.
Les deux sœurs ne l’ont pas fait reconstruire et ses fondations sont restées ainsi pendant presque quarante ans. Les autochtones ont donné à ces ruines le nom de Shiprock [« vaisseau de pierre », NDLT], avant qu’elles ne soient ratissées au bulldozer pour l’extension d’une autoroute.
Le Larkin Administration Building
Après avoir mis la touche finale au projet Pauson, David Romero s’est attelé au Larkin Administration Building de Buffalo, dans l’État de New York. Le bâtiment a été imaginé par Frank Lloyd Wright en 1903 et rasé quelque cinquante ans plus tard.
La manufacture Larkin fabriquait à l’origine des savons, mais s’est vite diversifiée. Quand le besoin de nouveaux locaux s’est fait sentir, Frank Lloyd Wright a proposé un immeuble de cinq étages en grès rouge, aux proportions titanesques. Au cœur de ses priorités, des valeurs novatrices pour l’époque : le confort des ouvriers et la facilité d’entretien.
« Lorsque je me suis lancé sur ce projet, je n’avais que des photos en noir et blanc du bâtiment », se souvient David. « Le voir en couleurs a été un moment fort. »
Après avoir mis la touche finale au projet Pauson, David Romero s’est attelé au Larkin Administration Building de Buffalo, dans l’État de New York. Le bâtiment a été imaginé par Frank Lloyd Wright en 1903 et rasé quelque cinquante ans plus tard.
La manufacture Larkin fabriquait à l’origine des savons, mais s’est vite diversifiée. Quand le besoin de nouveaux locaux s’est fait sentir, Frank Lloyd Wright a proposé un immeuble de cinq étages en grès rouge, aux proportions titanesques. Au cœur de ses priorités, des valeurs novatrices pour l’époque : le confort des ouvriers et la facilité d’entretien.
« Lorsque je me suis lancé sur ce projet, je n’avais que des photos en noir et blanc du bâtiment », se souvient David. « Le voir en couleurs a été un moment fort. »
L’architecte espagnol s’est focalisé sur les détails ornementaux du bâtiment, comme les œuvres du sculpteur Richard Bock, avec qui Frank Lloyd Wright collaborait souvent.
À l’intérieur, David Romera a reproduit la zone de travail centrale, aux airs d’atrium. Les meubles en acier sont de Frank Lloyd Wright.
« Je ne sais pas s’il reste encore quelqu’un qui aurait connu le Larkin Building à son époque », poursuit David Romero. « Lorsque j’ai commencé à travailler sur les premiers rendus, je me suis senti comme le docteur Livingstone découvrant pour la première fois les chutes Victoria. »
« Je ne sais pas s’il reste encore quelqu’un qui aurait connu le Larkin Building à son époque », poursuit David Romero. « Lorsque j’ai commencé à travailler sur les premiers rendus, je me suis senti comme le docteur Livingstone découvrant pour la première fois les chutes Victoria. »
Pour l’intérieur, David Romero a retranscrit la conception de l’architecte américain et laissé entrer la lumière dans les espaces de travail.
Le bâtiment était réputé pour ses nombreuses innovations, comme la chaleur rayonnante, les WC et cloisons suspendus pour un nettoyage plus facile et les meubles encastrés. Il a également été le premier conçu pour recevoir la climatisation, technologie de pointe à l’époque.
Bénéficiant d’une large enveloppe pour le projet, l’architecte y a également prévu une cantine pour les employés, un orgue, dont la musique berçait les lieux, et un toit-terrasse pavé de briques pour les pauses.
Le bâtiment était réputé pour ses nombreuses innovations, comme la chaleur rayonnante, les WC et cloisons suspendus pour un nettoyage plus facile et les meubles encastrés. Il a également été le premier conçu pour recevoir la climatisation, technologie de pointe à l’époque.
Bénéficiant d’une large enveloppe pour le projet, l’architecte y a également prévu une cantine pour les employés, un orgue, dont la musique berçait les lieux, et un toit-terrasse pavé de briques pour les pauses.
« J’avais l’impression de me trouver à l’intérieur d’une œuvre d’art », témoigne David Romero une fois son travail terminé. Il lui a fallu 18 mois pour venir à bout des projets Larkin et Pauson.
À l’intérieur du bâtiment Larkin, on trouve des détails comme ces panneaux gravés, installés entre les colonnes et inspirant le lecteur.
Les années 1940 voient le déclin de l’entreprise se confirmer. Le bâtiment est vendu. Malgré un tollé général, il est ensuite démoli en 1950 pour laisser place à un parking.
À l’intérieur du bâtiment Larkin, on trouve des détails comme ces panneaux gravés, installés entre les colonnes et inspirant le lecteur.
Les années 1940 voient le déclin de l’entreprise se confirmer. Le bâtiment est vendu. Malgré un tollé général, il est ensuite démoli en 1950 pour laisser place à un parking.
Trinity Chapel
Romero s’est ensuite penché sur Trinity Chapel, un projet inabouti imaginé par l’Américain en 1958 pour l’université d’Oklahoma, sur commande de Fred Jones, concessionnaire et industriel de premier plan.
« Mettre en œuvre un projet resté sur papier a été un sacré défi », confie David Romero. « J’avais un rendu en couleurs réalisé par Frank Lloyd Wright lui-même, quelques plans au sol et une élévation. La manière dont il aurait imaginé l’intérieur n’a été que pure spéculation de ma part. »
Romero s’est ensuite penché sur Trinity Chapel, un projet inabouti imaginé par l’Américain en 1958 pour l’université d’Oklahoma, sur commande de Fred Jones, concessionnaire et industriel de premier plan.
« Mettre en œuvre un projet resté sur papier a été un sacré défi », confie David Romero. « J’avais un rendu en couleurs réalisé par Frank Lloyd Wright lui-même, quelques plans au sol et une élévation. La manière dont il aurait imaginé l’intérieur n’a été que pure spéculation de ma part. »
C’est au cours d’un vol entre New York et Phoenix que l’architecte américain a esquissé la chapelle, au dos d’une enveloppe. Le bâtiment en forme de fer de lance, aux murs pleins percés de vitraux, devait être surélevé pour laisser la place à un parking. Un jeu de rampes menait au site.
Dans sa réflexion autour de l’intérieur de la chapelle, David Romero ne s’est pas départi de l’esprit de Frank Lloyd Wright, comme en témoignent la palette de couleurs, les matériaux et les meubles que l’on voit ici.
Le bâtiment ne fut jamais construit car pas assez orthodoxe aux yeux du commanditaire, qui souhaitait en outre un grand parking aux abords de l’université. Peu enclin à se plier aux conventions, Frank Lloyd Wright s’est retiré du projet. Il est mort l’année suivante.
Après avoir fini cette chapelle, David Romero s’est attaqué à d’autres projets de l’architecte américain qui avaient été démolis. Il aimerait poursuivre l’expérience avec les œuvres oubliées d’autres grands architectes du XXᵉ siècle.
Mais il a avant cela une autre priorité : concevoir les trois projets achevés en réalité virtuelle. « Franchement, ce ne serait pas super de pouvoir se déplacer à l’intérieur de ces bâtiments ? »
Lire aussi :
L’héritage de Frank Lloyd Wright aux architectes japonais
L’influence majeure de Frank Lloyd Wright sur l’architecture japonaise
Après avoir fini cette chapelle, David Romero s’est attaqué à d’autres projets de l’architecte américain qui avaient été démolis. Il aimerait poursuivre l’expérience avec les œuvres oubliées d’autres grands architectes du XXᵉ siècle.
Mais il a avant cela une autre priorité : concevoir les trois projets achevés en réalité virtuelle. « Franchement, ce ne serait pas super de pouvoir se déplacer à l’intérieur de ces bâtiments ? »
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« J’ai décidé de commencer par un projet de Frank Lloyd Wright », raconte David Romero, qui a étudié l’architecture à l’Université de Séville. « Il a toujours été l’un de mes architectes préférés, de par son utilisation de la couleur, des matériaux et du détail ornemental. »
Lorsque l’architecte espagnol commence ses recherches sur Internet, un projet en particulier retient son attention : la résidence Pauson (vue de devant ici dans une reproduction de David), conçue par Frank Lloyd Wright en 1939, et détruite dans un incendie en 1943. « J’ai eu envie de modéliser un bâtiment disparu juste pour me former », se souvient-il. « C’était à la fois un défi et un travail intéressant. »